Pilote de  légende                                                                              
 1952 - 1987
Didier Pironi    Une passion folle , jusqu'au bout...

                                      Par Gérard Gamand

Pironi !  Un nom qui déclenche toujours autant d'émotion vingt-cinq ans après sa mort...
Il aurait dû être le premier français champion du monde de Formule 1 , seul un dramatique accident l'a privé de cette récompense suprême.
Pire , il ne put jamais recourir malgré tous ses efforts et son courage inimaginables ( 40 opérations ! ).
Sa tête d'ange blond cachait bien une témérité aux limites extrêmes de l'inconscience , sorte de folie passionnelle qui le conduisait à se lancer des défis incroyablement dangereux. Avec son copain Gilles Villeneuve , ils ignorèrent souvent les interdits , jusqu'à la mort de ce dernier. Didier Pironi a de multiples fois bravé la camarade qui   a finalement eu le dernier mot...
Voilà l'histoire brève , intense et tragique d'un jeune homme pressé qui est désormais entré dans la légende de la course automobile.

En voyant débarquer ce jeune homme de son break Peugeot avec ses nombreuses  combinaisons et casques , les regards se firent instantanément interrogateurs. Ce gamin blond aux taches de rousseur de l'adolescence , qui avait tout juste vingt ans , venait tenter sa chance sur les terres provençales du circuit Paul Ricard en ce printemps 1972. Les autres élèves de l'école de pilotage se méfièrent instantanément de ce « gosse de riche » qui venait  peut-être briser leurs rêves. Ils avait beau être , comme le dit affectueusement Gérard Bacle , un « poupon » discret , timide même , tous étaient décidés à lui rendre la vie difficile. Mais , rien n'y fit. Didier Pironi avait déjà des centaines de kilomètres d'essais au volant d'une Formule 3 , ce qui naturellement faussait un peu l'équité , comme s'en souvient Antoine Raffaëlli : « Quand il est arrivé chez nous , il avait déjà de longues heures de pilotage d'une monoplace dans les bras. C'était un avantage évident. Cela étant , nous vîmes rapidement qu'il avait un réel talent et qu'il était d'une détermination invraisemblable , farouchement focalisé sur un seul objectif : gagner... ». Il devint rapidement évident qu'il serait l'un des prétendants sérieux pour être couronné à la fin de la saison par le prestigieux titre de «  Pilote Elf 1973  ». La finale se déroula les 28 et 29 octobre et Didier Pironi gagna , même s'il fut sévèrement accroché par un autre élève , Gérard Saint-Aubin. Sous les yeux de Jackie Stewart , de Ken Tyrrell , de Gérard Crombac et bien d'autres , il reçut une monoplace en cadeau et un budget d'Elf pour courir en Formule Renault en 1973. Encore étudiant en Travaux Publics , Didier était le demi-frère de José Dolhem , volant Shell en 1969 qui avait couru en Formule 3 , et qui allait courir en Formule 2 et même  Formule 1 pour quelques courses. Contre l'avis de son ainé , qui lui conseillait de tenter le « Volant Shell » de Magny-Cours , Didier avait opté pour le « Volant Elf » car il avait bien vu que le pétrolier français avait un vrai plan de carrière pour ses protégés. Dès le début  , il fit preuve d'une intelligence remarquable dans la conduite de sa carrière ! Son père qui dirigeait une belle entreprise de BTP de plus 350 salariés dans la banlieue parisienne avait eu un premier garçon ( José ) , puis un deuxième ( Didier ) avec la soeur  de sa femme ! Il aura même une fille Laurence avec une troisième mère , dont l'existence  ne sera dévoilée que tardivement à Didier. Drôle de famille , mais famille fortunée , qui avait permis à notre jeune homme d'essayer à peu près tout ce qui a un moteur dès l'âge de douze ans ! Moto , voiture , avion , hélicoptère et tutti quanti. Il fut le plus jeune pilote d'avion breveté de France. Une vie dorée menée avec insouciance. Les deux demi-frères étaient inséparables et faisaient les quatre cents coups. José l'aîné de huit ans était un fou de vitesse , et quand ont dit fou c'est de vraie folie dont on parle. Intrépide jusqu'aux limites du raisonnable , il avait été une idole et un exemple redoutable pour Didier. Rapidement l'élève avait rattrapé le maître et Didier Pironi avait accumulé les paris les plus insensés. Il s'était même fait attraper plusieurs fois par la maréchaussée en conduisant , sans permis , à tombeaux ouverts. Il y avait une sacrée différence entre le petit jeune homme aux yeux bleus , timide et réservé , et le lion indomptable , voir carrément fou , un volant à la main. Ses adversaires allaient bien vite s'en rendre compte.

Des début en monoplace très décevants

C'est l'expérimenté Roland Trollé qui avait la charge de faire courir l'écurie officielle Elf en Formule Renault pour la saison 1973. Il y avait trois monoplaces de type Martini Mk11 pour Yannick Auxemery , Maxime Bochet et le petit dernier , Didier Pironi , qui débarquait avec son titre de « Pilote Elf » et sa réputation de fils à papa. Les débuts furent  difficiles , c'est le moins qu'on puisse dire. La rivalité entre les trois pilotes était exacerbée et les moteurs cassaient régulièrement. Finalement au milieu de la saison le budget de fonctionnement alloué par Elf à Roland Trollé fut quasiment épuisé ! Ce dernier se sépara donc des deux pilotes les moins bien protégés par leurs contrats pour ne garder que Didier Pironi qui termina la saison en pilote unique pouvant disposer des trois châssis et d'un grand nombre de moteurs. Le bilan de cette année 1973 était très contrasté. Quelques rares places d'honneur : trois podiums à Nivelles en septembre ,  au Bugatti et à Jarama en octobre qui sauvèrent un peu cette saison avec une sixième place au classement final du Challenge Européen  de formule Renault. Mais le jeune Didier apprenait vite et il avait analysé la situation. Pour la saison  suivante il avait les idées claires. « Je ne repartirai pas dans une telle pétaudière. Je veux être maitre de mon destin et je suis allé voir Elf  pour leur proposer de monter ma propre équipe pour la saison 1974 et viser les victoires et le titre. Elf a accepté et je suis allé m'installer à Magny-Cours ou j'ai loué une grande maison avec un atelier pour être autonome et à deux pas du constructeur Tico Martini pour lequel j'ai une très grande admiration. J'ai fait venir une équipe de supers mécaniciens : Alain Varlet , Daniel Gaillard et « Benito » et j »ai confié la préparation de mes moteurs aux frères Bozian. J'ai acheté un camion transporteur et tout l'outillage dont nous avions besoin et surtout je me suis fait livrer en premier une toute nouvelle Martini Mk14FR ce qui fait qu'à l'ouverture de la saison nous avions déjà réalisé des milliers de kilomètres pour régler parfaitement la voiture. Il fit également rouler Richard Dallest dans l'équipe avec une autre Martini Mk14FR ». Ce qu'il ne dit pas c'est qu'il avait largement complété le budget alloué par Elf avec son argent personnel...La saison fut une magnifique  réussite avec sept victoires ! Au mois d'avril il triompha  au Paul Ricard et à Nogaro , en juin à Rouen , en juillet à Magny-Cours , en août Karland , en octobre à Brands Hatch et à Barcelone. Il enleva le Challenge Européen de Formule Renault pour sa deuxième participation. Cette fois la machine était en marche et Didier plus déterminé que jamais à gravir les échelons de la course automobile. Charmant dans la vie de tous les jours , il savait motiver ses troupes pour en obtenir le maximum. Mais une fois au volant c'était un autre homme , dur , très dur même , avec les autres pilotes , n'hésitant jamais à aller au contact. C'était eux ou lui. Il a pendant toute sa carrière  gardé ce coté « frappadingue »prêt à toutes les folies , même les plus allumés ou les plus dangereuses. Sa bonne étoile l'a longtemps protégé...

La Formule Renault Europe avec une équipe « super -pro »: la sienne !

Pour la saison 1975 et les grands débuts de la « super » Formule Renault Europe , Elf  lui demanda  d'être le fer de lance de son assaut. Didier décida alors de renforcer son équipe et engagea  Daniel Champion comme chef mécanicien. Il venait de la Formule 2 et c'était assurément un choix génial. Didier le patron d'équipe  avait une vision ultra-professionnelle du sport automobile. Il investissait sans peur du lendemain pour un but suprême : accéder à la Formule 1 pour devenir Champion du monde ! Rien de moins. Cette saison 1975 , la troisième de sa carrière allait être marquée par une terrible course à l'armement , ce qui n'était pas pour déplaire au riche Pironi. Il acheta deux châssis Mk15 FRE , un pour les courses l'autre comme mulet et il allait pouvoir compter sur trois mécaniciens pour s'occuper de lui ! C'est de cette époque que vient son surnom  « l'Américain » … on comprend pourquoi. René Arnoux , quant à lui , avait également un surnom : « Le tourneur » … ce n'était pas tout à fait le même monde … Le petit Arnoux faisait une partie de sa mécanique et couchait dans sa petit caravane. Malgré ses « dollars » , la saison sera plutôt décevante pour Didier Pironi avec une fâcherie envers le motoriste Bozian. « Il avait accepté de prendre mon principal adversaire René Arnoux alors qu'il m'avait dit le contraire en début d'année. Je déteste les personnes qui ne respectent pas leur parole. Du coup , je suis allé chez Bernard Mangé alias « Nanar » et ses moteurs marchais formidablement bien ». Il faut dire qu'Elf  avait récupéré Néné Arnoux laissé en pleine dérive par Shell pour le remettre en selle. Les moyens du petit grenoblois étaient sans commune mesure avec ceux de Pironi et  pourtant ,  c'est bien lui qui emportera le titre en fin de saison ! Didier gagna à Monaco au mois de mai , puis Hockenheim en juin et au Paul Ricard  en juillet et c'est tout ! Dans le paddock plusieurs concurrents ricanent : « l'Americain » s'était fait taper. Ce n'était pas pour déplaire à un bon nombre d'entre eux. Par rapport à l'investissement phénoménal c'était un ratage et à la fin de l'année , Didier Pironi fit le siège d'Elf pour accéder à la Formule 2. Rien à faire , ce fut René Arnoux qui décrocha la timbale .  Le pétrolier demanda à Pironi de repartir  en Formule Renault Europe avec un objectif clair : gagner le titre 1976 ! Cette fois la machine victorieuse mise en place par Daniel Champion fonctionnait. Rien ne pourra arrêter le rouleau compresseur. Il reçut un châssis tout neuf de la première monocoque construite par Tico Martini : le modèle Mk18 , il disposera ensuite d'une armada de moteurs préparés cher le sorcier « Nanar ». Bien managé par Daniel Champion , l'année va être triomphale : 12 victoires et le titre ! En maiil remporte cinq courses : Magny-Cours , Dijon , Zolder , et Charade et de nouveau Monaco ( deuxième victoire consécutive ) , en juin il gagne à Pau , à Hockenheim et à Rouen , en juillet de nouveau à Magny-cours . En septembre c'est à Monza qu'il reçoit le drapeau à damiers du vainqueur et il termine par deux autres victoires en octobre à Albi puis à Imola. S'il gagne toutes ces courses , il continue aussi ses folies routières  et n'hésite pas à reconnaître  le circuit de Charade sur route ouverte , au milieu des camions , comme s'il était seul en piste. Pour l'instant il se tire toujours des situations les plus dangereuse.

Quatre ans après ses débuts ,
la Formule 2 , enfin !

Cette fois Elf donne le feu vert et il signe dans l'équipe de Formule 2 Martini « usine »  , managée par Hugues de Chaunac. Il sera le coéquipier de son rival de toujours René Arnoux  et on craint  le pire au  plan de la cohabitation entre ces deux-la … Il n'en sera rien et ils travailleront presque en harmonie . Il faut dire que Huges de Chaunac et Tico Martini sont des sages qui savent comment modérer les excès des deux jeunes pilotes . Les Martini Mk22 V6 Renault jaunes vont réaliser un splendide doublé à Pau lorsqu'Arnoux gagne devant Pironi , dans des conditions apocalyptiques après que le directeur de course ait arrêté la course en raison d'un violent orage . Mais le vrai bon coup de cette saison reste le Grand Prix de Monaco Formule 3 … Didier Pironi  qui sait mieux que quiconque l'importance exceptionnelle de cette course a décidé de frapper un grand coup devant les patrons de la Formule 1. Il réunit un budget avec Elf , Bendix et Facom et complète largement de sa poche. Il demande à Tico Martini de lui préparer un châssis prototype de la Mk21 et il envoie « Benito » son ancien mécanicien monter un moteur Toyota chez Novamotor en Italie. Il débarque dans la principauté , après des essais de réglage à Magny-Cours , en compagnie de Huges de Chaunac qui avait accepté de le manager , avec une envie féroce de l'emporter. Il arrache la seconde place sur la grille de départ et part en tête suivi par le poleman Ghinzani qui l'attaque mais part à la touchette. Didier va remporter son pari et gagner le Grand Prix de Monaco de Formule 3 ! Pari risqué mais pari réussi. De retour en Formule 2 , Didier va assister à la victoire au championnat d'Europe de René Arnoux et remporte , pour sa part , la dernière course de la saison à Estoril. Il termine troisième du championnat d'Europe. Mais cette fois , propulsé par l'argent d'Elf , Il gagne le deuxième volant disponible chez Ken Tyrrell. La véritable ascension de la dernière vers le sommet va pouvoir débuter. Il se confie comme rarement : « Les gens ignorent combien je suis timide. Je sais que je ne montre pas beaucoup de moi-même. J'ai l'air incapable d'expliquer aux autres , ou même à moi-même , ce que je suis... ». Un fin psychologue avait noté : « Tout d'une pièce , votre énergie naturelle vous pousse fréquemment à désirer avoir la première place partout où vous arrivez , et sans l'étrange sympathie qui émane de votre personne , certains pourraient parfois vous trouver arrogant. Foncer tête en avant n'à évidemment pas que des avantages. A force de courage et de mouvement , vous pouvez aussi vous cogner et brutalement … douter. Du coup , tout votre courage , votre droiture , votre enthousiasme et votre franchise peuvent se muer en une certaine agressivité , une révolte et une vulnérabilité que personne n'avait soupçonnée avant. Dieu merci , votre coté instinctif et batailleur mais aussi votre énergie particulièrement abondante ne vous laisseront pas sans ressource longtemps et le feu sacré qui coule dans vos veines vous remettra sur selle pour de nouvelles cavalcades à la conquête de but aussi ambitieux ou glorieux que risqués. »

Chez Tyrrell en Formule 1 ,
il va tout apprendre

«  C'est juste après ma victoire d'Estoril que je suis allé rendre visite à Ken Tyrrell à son invitation. Il m'annonçât que Peterson quittait son équipe et que je faisais partie de sa « short list ». Après la dernière course de Formule 2 je suis retourné chez lui pour signer mon contrat avec la bénédiction de François Guitter , le patron compétition d'Elf. » C'est un Didier Pironi à l'allure encore juvénile qui débarque donc en Angleterre chez le grand Ken Tyrrell. « Pour la première fois depuis que je cours , je vais gagner un peu d'argent et  je n'aurai pas besoin d'en être de ma poche. C'est assez nouveau pour moi ! » expliquait-il en riant. Pourtant les débuts ne furent pas simples. « J'ai piloté la nouvelle Tyrrell 008 pour la première fois lors des essais libres d'Argentine et je suis sortie ! Nouvelle équipe , nouvelle voiture , nouveau circuit. On m'avait tellement répété de faire gaffe aux autres que j'avais constamment les yeux dans les rétros ». Rapidement Didier Pironi se rend compte qu'il accède à un monde très difficile. Beaucoup plus complexe qu'il ne l'avait imaginé. Régler une Formule 1 n'a rien à voir avec ce qu'il a connu jusqu'à présent. Il s'explique avec beaucoup de lucidité sur ses objectifs : « Apprendre un maximum , bien voir comment cela se passe dans cette ambiance très paternelle de l'écurie , après on verra. Ma première sensation est d'être  dans la peau d'un apprenti ». L'année 1978 va être marquée par la mise au point de l'arme absolue en Formule 1 : la Lotus 79 à effet de sol. Du coup les Tyrrell 008 qui n'avaient pas été trop mauvaises en début de saison vont progressivement perdre pied. Depailler qui est au sommet de sa forme gagne tout de même le prestigieux Grand Prix de Monaco ! Didier est impressionné par les qualités de metteur au point de Patrick : « Entre lui et moi , la différence la plus grande se situe par l'extraordinaire faculté qu'il a pour adapter sa voiture au plein d'essence avec tant de facilité ». Il lui faut travailler encore plus. De toute façon , il y a de moins en moins de place pour ses frasques. « Mes pensées tournent de plus en plus autour  de la course automobile. Le problème des déplacements constants et la fréquence des voyages font que la vie personnelle devient quasiment inexistante... ». Finalement il va réussir à marquer ses premiers points au championnat du monde et terminera deux fois à la cinquième place : à Monaco en mai et à Hockeinheim en juillet. Il prendra la quinzième place du championnat du monde. Cette année  1978 permettra à Didier Pironi de connaître la notoriété « grand public » grâce à sa victoire aux 24 H du Mans en compagnie de « papy » Jaussaud . Ce triomphe bien sympathique leur permettra de remonter les Champs-Elysée avec l'Alpine victorieuse. Qui se souvient que cette victoire n'a tenu qu'à un fil ? Pironi qui était au bord  de l'évanouissement fut tenu en éveil par Jacques Bornic , grâce à une communication radio pendant les derniers tours qui parurent bien longs ! A la fin de la saison , Ken Tyrrell lui présente la nouvelle voiture pour l'année 1979 : l'ingénieur Maurice Philippe a purement et simplement copié la géniale Lotus 79 pour construire un clone intégrale : la Tyrrell 009 qui se veut être la monoplace de la reconquête. Hélas , Elf décide de supprimer son généreux sponsoring à l'équipe anglaise et , comble de malchance , la First National City Bank en fait de même. C'est donc avec des voitures vierges de toutes publicités que va débuter  la saison 1979. « Je me sentais prêt à gagner des courses. Hélas , la 009 n'a cessé de reculer dans la hiérarchie faute d'argent et de développement. J'ai demandé avec insistance à Ken Tyrrell de faire quelque chose , mais il n'a jamais voulu. Je crois qu'en plus , l'ingénieur Maurice Philippe ne comprenait pas vraiment le concept aérodynamique des wing cars ». Ajoutons à cela un nombre invraisemblable de sorties de route liées à des casses mécaniques inacceptables : bris de suspensions , perte de roues etc. La confiance ne cessa de s'effriter et Didier n'avait envie : quitter Tyrrell qui , à l'évidence , était sur la pente descendante. Et pour longtemps. Il réussit tout de même à monter deux fois sur le podium en prenant la troisième place du Grand Prix de Belgique et du Grand Prix des USA. Il pointa à la dixième place du championnat du monde des pilotes.

Le grand ratage chez Ligier

Toujours solidement soutenu par Elf , il signe avec une envie féroce de victoire chez Guy Ligier pour devenir le coéquipier du pilote fétiche de la maison Jacques Laffite. Gérard Ducarouge qui est aux commandes techniques avait dessiné une fantastique voiture en 1979 : la Ligier JS11. Elle avait largement dominé le début de la saison avant de renter dans le rang. Pour 1980 la leçon avait été retenue et « Duca » avait construit , autour des châssis 1979 , une nouvelle version , la Ligier JS11/15 encore améliorée avec des freins accolés à la boite pour mieux dégager les pontons entièrement nouveaux. Tout de suite Didier Pironi vint sur le devant de la scène et gagna son premier Grand Prix de Formule 1 à Zolder à l'occasion du Grand Prix de Belgique. Entre Jacques Laffite et Didier Pironi la rivalité devint extrême et Pironi découvrit que tout tournait  ,  quoi qu'il  dise , autour de Laffite. C'est toujours lui qui avait le dernier mot. Il ne comprenait pas et les relations se dégradèrent rapidement dans l'équipe. Guy Ligier ne maîtrisait pas la situation qui allait devenir intenable lors du Grand Prix de Grande Bretagne à Brands Hatch. Les deux Ligier dominaient la course , Pironi largement en tête lorsqu'il dut rentrer pour de roue. Il repartit comme un malade ( et avec Pironi on sait ce que cela veut dire ) et malheureusement il connut un nouveau problème de Jantes. Guy Ligier était furibard et laissa éclater sa colère devant tout le monde en s'en prenant violemment à Didier  qui était ulcéré par ce comportement sanguin. Lui qui venait de passer deux ans chez les anglais froids et analytiques , il ne comprenait plus. Ce fut le déclic : il décida de quitter Ligier , alors qu'il Hésitait encore beaucoup à changer d'équipe. « Chez Ligier , c'est intenable : Jacques Laffite est le centre de tout : il est pilote , team manager , directeur technique , directeur du marketing , il manage tout ! Ligier est une équipe parfaite pour un équipier qui n'aurait pas d'ambition. C'est impossible de rester dans ces conditions lorsque vous visez des victoires et le titre du champion du monde... ». Courtisé par Ferrari depuis le début de saison , Pironi donne son accord et signe un contrat pour la saison 1981. Guy Ligier n'en croit pas ses yeux ! Il n'a pas compris que , Didier intransigeant et sûr de sa force , ne pouvait pas accepter d'être traité de la sorte. C'est fini entre les bleus et Pironi. Quel dommage car il y avait une véritable opportunité de viser le titre suprême. « Je crois que l'écurie Ligier n'a jamais développé pour la course cette sorte d'intense passion qui est la marque des équipes qui gagnent. On avait l'impression qu'ils vivaient dans une constante distraction... ». Rétrospectivement on peut constater que son analyse avait un peu de vrai...

Pironi chez Ferrari ,
un événement historique !

C'est la Commendatore lui-même qui avait repéré les possibilités du pilote français et avait fait le forcing , via Marco Piccini , pour le faire signer. Didier Pironi va y gagner un surnom : « Didi ». Cette signature est un événement considérable et « histoirique » pour tous les tifosis français puisque depuis juillet 1959, et le licenciement de Jean Behra par la Scuderia, plus aucun pilote hexagonal n'avait eu le privilège de piloter en Formule 1 pour Ferrari. Après avoir limé la piste de Fiorano pendant tout l'hiver « Je n'avais jamais fait autant d'essais. Entre le dernier Grand Prix pour Ligier et le mois de décembre, j'ai roulé toutes les semaines que ce soit à Fiorano, à Imola, au Paul Ricard. C'est cela la grande différence : il y a des moyens incomparables avec tout ce que j'ai connu à présent », Didier est fin prêt. C'est au volant de la nouvelle Ferrari 126 C Turbo que Didier Pironi fait ses débuts aux côtés d'un autre frappadingue : le Canadien Gilles Villeneuve. Ils ont tous les deux le même âge et rapidement les démons de Didier pour les virées folles reviennent. Pendant presque deux ans, ces deux-là vont jouer à se lancer des défis ahurissants au volant de leur Ferrari 308 de fonction, ou aux commandes d'hélicos ou encore de bateaux. Ces folles « gamineries » sont aux limites de la bêtise et mettent souvent la vie des pilotes en danger, sans parler des autres automobilistes qui voient débarouler ces fous furieux qui ne lèvent jamais le pied de l'accélérateur. Un jour ils ont réalisé 240  km/h de moyenne entre Turin et Fiorano sur route ouverte ! Tout est à l'avenant....Le début de la saison est plutôt positif et Pironi prend même provisoirement la tête du Grand Prix de Belgique à Zolder. « J'ai plus d'appétit de vivre et de gagner que je n'en ai jamais eu dans toute ma vie. Maintenant, je veux être champion du monde, et comme cela n'est pas facile, je souffre ! C'est une forme de soif non étanchée. Une frustration grandissante... » Malheureusement si le V6 Ferrari est l'un des plus puissants du plateau, la tenue de route laisse à désirer et l'on accuse à tort le châssis alors que manifestement  c'est l'aérodynamisme qui est en cause. « J'en perdais mon latin ! Sous-virage, sur-virage, elle ne marchait jamais comme il fallait. Ce fut une saison décevant mais qui était destinée à bien préparer 1982 ».

Une année dramatique,

Cette nouvelle année allait débuter par un coup de tonnerre en Afrique du Sud ! Didier Pironi avait pris la tête du mouvement de révolte chez les pilotes qui devaient donner la durée de leur contrat pour obtenir la super-licence nécessaire pour courir en Formule 1.  Tous y étaient farouchement opposés et Pironi obtint le report de la discussion sur cette clause après avoir emmené les pilotes en bus dans un hôtel, loin de la pression des équipes...inimaginable de nos jours. A l'issue Pironi fut élu président de la PRDA (Professional Racing Drivers Association) avec Niki Lauda comme vice-président. Dans un autre registre la nouvelle Ferrari 126C2 semblait nettement mieux née que la précédente. Malheureusement les conflits FISA-FOCA allaient atteindre des sommets de ridicule et à Imola,  pour le Grand Prix de Saint Marin, seules les écuries « constructeurs » allaient participer à la coursse boycottée par les écuries « FOCA ». Seules quatorze voitures prirent le départ de la course qui fut marquée par un duel terrible entre les deux Ferrari de Villeneuve et Pironi. Dans le dernier tour Pironi déboîta par surprise et Villeneuve qui était persuadé que les panneaux du stand indiquant « slow » avaient figé les positions. Il fut profondément meurtri par ce qu'il considéra comme un acte inqualifiable de traîtrise de la part de son copain Pironi. Il maugréa pendant quinze jours en répétant partout qu'il pouvait battre « Didi » où il voulait et quand il voulait...C'est la mine sombre, plus sombre que jamais qu'il se présenta à la course suivant du Grand Prix de Belgique. Pironi réalisa le second temps des essais juste derrière la Renault de Prost. Il ne restait plus que huit minutes d'essais quand Villeneuve repartit le couteau entre les dents pour battre le temps de ce s.... de français. Il ne revint jamais au stand. Dans la grande courbe à gauche en montée qui passe à plus de 260 km/h il était tombé sur la March de Jochen Mass qui rentrait au ralenti. En une fraction de seconde sa voiture heurta la monoplace de l'allemand avant de décoller. Sous la violence de l'impact, le harnais céda catapultant le pauvre pilote comme un pantin désarticulé. Villeneuve était quasiment mort sur le coup ! Didier Pironi était accablé. Il allait connaître un nouveau coup du sort au Grand Prix du Canada. S'élançant de la pole position, son embrayage fit des siennes et il cala au moment du feu vert. Derrière, tout le monde réussit à l'éviter sauf le jeune Ricardo Palleti qui partait de l'avant dernière ligne. Masqué par la poussière des vingt-deux monoplaces qui le précédaient sur la grille, il arriva lancé à plus de 200 km/h pour s'empaler sur la Ferrari arrêtée. Le choc fut effroyable et il fut tué sur le coup. C'était son premier départ en Formule 1....Quelques jours plus tard, Pironi imperturbable gagnait à Zandvoort et s'emparait de la tête du championnat du monde ! Après les Grand Prix de Grand Bretagne et de France, il s'envola au championnat.....quand arriva le Grand Prix d'Allemagne. Il avait réalisé le meilleur temps du vendredi mais il pleuvait pour la séance du samedi. Didier Pironi va alors tourner sur piste trempée comme si sa carrière en dépendait. Pourtant les bulletins météo annonçaient une piste sèche pour le jour de la course. Alors pourquoi cette prise de risque totalement inutile ? On ne le saura jamais.  Pendant la séance, Derek Daly sur sa Williams suivant Prost qui rentrait au ralenti.  Il déboîta de son sillage de vapeur d'eau pour le doubler au moment même où débaroulait un Didier Pironi déchaîné. Ce dernier, en une fraction de seconde vit dans un brouillard la Williams s'écarter et ne comprit pas que c'était pour doubler une autre voiture plus lente.  Il s'engouffra et se retrouva nez à nez à 280 km/h avec l'aileron arrière de la Renault de Prost. Il n'y avait plus rien à faire.  La Ferrari décolla instantanément plus haut que les sapins, tourna sur elle-même piqua du nez pour retomber lourdement sur la piste par l'avant en broyant les jambes du pilote avant de rebondir encore et de terminer sa course 300 m plus loin. Les jambes de Pironi n'étaient que plus que des plaies. Les secours envisagèrent de l'amputer du pied droit sur place pour pouvoir le désincarcérer. Mais Didier toujours conscient, souffrant le martyre, les supplia de ne pas le faire. L'horreur absolue.

La fête est terminée,

La fête est terminée. Didier ne sera jamais le premier français champion du monde de Formule 1. Il va entamer une lente convalescence avec plus de quarante opérations pour tenter de réparer ce qui peut l'être. Gérard Crombac en visite à la clinique où il est soigné ouvrira un paquet cadeau du Commendatore Ferrari. Dedans, une sculpture en bronze du cavalino rampante avec une sobre inscription sur le socle : « Au vrai champion du monde 1982 »....Malgré son envie folle il ne pilotera plus jamais en course. Pourtant Enzo Ferrari l'appelait sans cesse à la clinique : « Le jour où tu te sentiras prêt tu viendras quand tu voudras à Fiorano et une voiture sera à ta disposition ». Mais d'opérations en opérations les années vont passer. Il tentera bien de faire des essais avec une AGS puis une Ligier en 1986, mais c'était impossible. Il se tournera alors définitivement vers le Offshore pour brûler à nouveau une passion dévorante. En 1987, il pilote le Colibri avec ses deux moteurs V12 Lamborghini lorsque dans une course au large de l'ile de Wight, le bateau décolle sur une vague, monte à la verticale et retombe à l'envers à plus de 150 km/h sur l'eau. Les trois occupants sont tués sur le coup : Didier Pironi, son copain d'adolescence Jean-Claude Guénard et le journaliste Bernard Giroud. Il avait si souvent flirté avec la Camarde qu'il fallait bien qu'elle l'attrape un jour. Sa passion folle l'avait entraîné jusqu'au bout de sa destinée. Quelques jours plus tard, c'est au cimetière de Grimaud, aux portes de Saint Tropez que l'on enterra Pironi, là où il possédait une magnifique propriété. Sur la pierre tombale une simple inscription « Entre ciel et terre »...D'une vie sentimentale très compliquée, il laisse Catherine enceinte de deux jumeaux. Quand ils naîtront bien plus tard, l'un se prénommera Didier et l'autre Gilles.....
Deux prénoms lourds à porter....


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