DIDIER PIRONI Par Christian Courtel Dé-ter-mi-na-tion !
La première fois que j'ai entendu parler de Didier Pironi, c'était en septembre 1972. J'avais assisté aux 6 heures du Paul Ricard, une épreuve ouverte aux voitures de Tourisme, et je m'apprêtais à reprendre la route de Paris. Je m'étais arrêté à la station service jouxtant le circuit du Castellet, et le hasard voulut que je stationne alors au côté de la voiture d'Antoine Raffaeli, le directeur de l'école de pilotage Elf Winfield. Comme je lui demandais ses impressions sur la cuvée 72 de ses élèves, sa réponse fusa, nette : « J'ai un garçon intéressant. Il s'appelle Pironi. Il a l'air d'un minot, mais il va vite. » Deux mois plus tard, le « minot » en question remportait la finale sans discussion. Pendant plusieurs saisons, j'ai eu le bonheur de suivre Didier Pironi de façon quasi hebdomadaire. D'une course à l'autre, car mes pérégrinations journalistiques ont fait que j'ai « couvert » pour Echappement puis AUTOhebdo les championnats de Formule Renault puis Formule Renault Europe dans lesquels Didier était engagé. Enfin, le point d'orgue de cette ...disons...collaboration fut sa victoire au GP de Monaco F3 en 1977. Sans qu'il y ait entre nous une amitié au sens noble du terme, je crois que nous avons développé en quatre ou cinq saisons une certaine complicité professionnelle. Il y avait un rapport de confiance. En tout cas, il n'y avait jamais de cachotterie ni de langue de bois de sa part, et de mon côté je crois avoir tout fait preuve d'honnêteté dans mes appréciations sur ses performances. S'il fallait résumer Didier Pironi par un seul mot, « détermination » est à mon sens celui qui lui convient le mieux. Sous ses dehors timides, son air de ne pas y toucher, il avait une foi inébranlable dans son destin, tout tendu qu'il était vers le but qu'il s'était fixé : aller en Formule 1. Il n'en faisait pas mystère, contrairement à de nombreux autres jeunes espoirs de son époque qui préféraient éluder la question. Pourtant rien n'a été simple. Dès sa première saison en Formule Renault, il s'est retrouvé au sein d'une équipe Elf en proie aux difficultés. Sous la houlette de l'expérimenté Roland Trollé, et avec pour équipiers deux pilotes chevronnés tels que Maxime Bochet et Jannick Auxéméry, Didier Pironi semblait bénéficier
d'un environnement idéal. Hélas, l'équipe Elf perdit rapidement de sa superbe, Trollé y laissa sa réputation, Maxime et Jannick leurs illusions tandis que Pironi fit preuve de suffisamment de caractère pour sauver ce qui pouvait encore l'être. Mieux, il fut l'un des rookies les plus convaincants de la saison...mais peu s'en rendirent compte car le meilleur débutant de cette année 1973 avait pour nom René Arnoux. Le Volant Shell du circuit de Magny-Cours réussit l'exploit de remporter le titre au nez et à la barbe de deux des favoris, Tambay et Couderc. En 1974, fort de l'expérience acquise, Pironi s'est constitué une équipe autour de lui avec la bénédiction de Elf bien sûr, et de l'école Winfield Paul Ricard. La victoire fut longue à se dessiner, mais en deuxième partie de saison, Didier se montra souverain et s'adjugea le titre à la force du poignet. L'étape suivant, en 1975, fut la Formule Renault Europe, discipline initiée par la régie Renault afin de palier à la disparition de la F3 des pistes françaises. Entreprise louable mais qui se révélera être un échec car boudée par les écuries et pilotes étrangers, peu enclins à s'engager dans un championnat entièrement géré par un constructeur. Sur le papier, Didier Pironi est l'un des grands favoris si ce n'est LE grand favori. Seulement voilà, à quelques semaines du coup d'envoi de la saison, René Arnoux était incorporé in-extremis au sein du giron de Elf. René, que le retrait de son principal sponsor, le pétrolier Shell, avait plongé dans le désarroi à la suite de son titre en 1973 avait connu une saison blanche par la suite. Certes, s'ils portaient les mêmes couleurs, Didier et René évoluaient au sein de leurs propres structures. Un lutte fratricide allait s'engager entre les deux jeunes loups qui disposaient de moyens disproportionnés. Tandis que Arnoux faisait fructifier un budget très limité, Pironi, au contraire, allait se perdre dans une démesure qui le menait à sa perte. En investissant davantage d'argent, Didier avait fait le pari de disposer de deux monoplaces afin d'augmenter ses chances de briller aussi bien sur les circuits rapides que sur les circuits tortueux. Certes il remportera un succès de prestige sur le circuit de Monaco, mais en fin de saison, c'est bel et bien Arnoux qui sera titré. Fort marri de cette mésaventure, Pironi est contraint de redoubler en Formule Renault Europe tandis que Arnoux part disputer le championnat d'Europe de Formule 2. Pour cette saison 1976, Didier
Pironi évite les erreurs passées. Rigueur devient le maitre mot au sein de sa petite structure dirigée par l'excellent Daniel Champion, futur chef mécano de l'équipe Renault F1. Entre Didier et Daniel l'osmose est parfaite. Ils peaufinent la préparation de la Martini et se permettent même de développer quelques petites trouvailles. Notamment ce système qui permet de régler depuis le cockpit, et à tout moment, la répartition du freinage entre l'avant et l'arrière. Ce dispositif a été pensé et conçu par les frères Xavier et Denis Mathiot, puis développé par Didier Pironi avant que...Jean-Pierre Jabouille ne l'adopte sur sa Elf-Renault de Formule 2 ! Et bientôt ce système sera repris par la majorité des équipes de F1... En 1976, Didier Pironi réalise la saison quasi parfaite ou presque. Il collectionne les victoires, mais il connait un moment de doute dès la quatrième manche quand le jeune et prometteur Alain Prost, dont on dit alors le plus grand bien, débarque sans crier gare dans la discipline et bouscule l'autorité de son aîné!Cela se passe à Dijon, et Alain tire tout le profit d'une Lola plus véloce que la Martini sur se genre de tracé rapide. Mais Elf remet bientôt de l'ordre dans sa maison, et tandis que Prost se consacre exclusivement au championnat de Formule Renault Nationale qu'il s'adjuge avec 12 victoires sur 13, Pironi remporte de son côté le titre en FRE. Jusqu'au bout il ne lâche rien et à mes yeux la victoire qui souligne le mieux sa détermination cette année-là est celle obtenue sur le circuit Paul Ricard début octobre. C'est l'avant-dernière manche de la saison, Didier a le titre en poche et il est amoindri par une forte grippe. Pendant tout le week-end il fait la navette entre sa chambre d'hôtel et le circuit où il n'apparait que pour monter dans sa monoplace. Malgré tout, il met un point d'honneur à corriger ses adversaires, signant là une victoire significative de sa rage de vaincre. J'aurais l'occasion quelques semaines plus tard d'effectuer quelques tours du circuit du Castellet au volant de la monoplace de Pironi. Je ne suis pas un surdoué du volant et encore moins la stature d'un champion, mais le peu que j'ai dégagé de cet essai m'a permis de mesurer l'incroyable degré de préparation de cette monoplace, notamment au niveau de la commande de boite de vitesse, dont le maniement était d'une étonnante précision et d'une surprenante douceur. Mûr pour passer à l'étage supérieur de la F2 en 1977, saison où il allait retrouver René Arnoux au sein de l'équipe Martini Oreca,
Didier a réalisé un parcours digne de son rang. La F1 était en point de mire, et la suite lui donnera raison puisqu'il signera pour Tyrrell en 1978. Mais avant de se lancer dans la discipline-reine, Pironi avait à cœur de réaliser un défi propre à valider son apprentissage de champion en herbe : remporter le GP de Monaco F3. A l'époque c'était le passeport indispensable pour tout aspirant à la F1. Didier prit sur lui de trouver un budget, de louer à Tico Martini une MK21 de F3 et de monter sa propre structure. Cette aventure allait être couronnée de succès, Pironi signant un succès probant devant l'élite internationale de la F3 en devançant Ghinzani et Johansson. « Libéré » de ses derniers doutes si tant est qu'il en avait encore, Didier Pironi pouvait désormais aborder la Formule 1 avec toute la sérénité voulue.
Christian Courtel
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